Il y a cinq ans, le journaliste Fred Hidalgo (créateur du magazine Paroles et Musique, puis de la revue Chorus disparue en 2009) publiait Jacques Brel – L’aventure commence à l’aurore (ici), sur les dernières années du chanteur, aux Marquises. Pour les quarante ans de sa mort, une édition revue et augmentée est sortie en septembre sous un nouveau titre : Le voyage au bout de la vie. De son côté, Anne Sylvestre fait carrément coup double : la parution en deux CD de la captation de son spectacle Gémeaux croisés de 1988 avec Pauline Julien et l’édition « collector » de son livre de 2014 Coquelicot et autres mots que j’aime (là), textes inédits en prime.
Entre Prologue et Épilogue, la nouvelle version de l’ouvrage très documenté de Fred Hidalgo compte désormais quatre-vingt pages de plus, un cahier-photo enrichi et 28 chapitres au lieu de 23. Deux d'entre eux sont véritablement nouveaux et précisent l’impact de chansons comme Ballade à Sylvie de Leny Escudero (qui incompréhension totale à la clé, provoqua la colère voire la haine de Brel à son égard) ou la genèse de La Chanson des vieux amants ; les trois autres chapitres ont été scindés en deux, avec ici et là des ajouts et des précisions. Fred Hidalgo a également fait précéder l’ensemble d’un Avertissement de trois pages, dans lequel il précise : « Jacques Brel m’a toujours fasciné. Par ses chansons et sa présence scénique, évidemment, par son charisme, mais aussi et peut-être par sa philosophie. – ce que j’appelle plus loin son “principe d’imprudence”. Jamais pour autant je n’aurais imaginé lui consacrer un livre après tout ce qui avait été publié à son sujet…» C’est pourtant l’impérieux besoin qu’il a ressenti en 2013 après son voyage aux Marquises et l’apport des multiples témoignages de proches du Grand Jacques. Et comme il a continué à « recueillir des confidences, à compiler des documents, à accumuler des anecdotes », il lui est apparu « impossible d’en rester à ce qui s’apparentait chaque fois davantage […] à la première mouture d’un ouvrage encore à naître. » Parole tenue.
Il y a trente ans, cette fois, le 13 mars 1988 très précisément, Anne Sylvestre et son amie Pauline Julien enregistraient Gémeaux croisées au Théâtre d’Hérouville, près de Caen. Au cours de ce spectacle conçu et finalisé avec Denise Boucher (Québécoise comme Pauline), dans une mise en scène de Viviane Théophilidès et des orchestrations de François Rauber, quarante-trois chansons et textes étaient au programme. Puisant surtout dans le répertoire de l’une et de l’autre, Anne et Pauline s’y exprimaient en solo et en duo, ménageant des respirations à coups de dialogues et monologues empreints d’humour et de poésie. Aujourd’hui, de Rien qu’une fois faire des vagues à Une sorcière comme les autres, on retrouve ainsi L’Enfant qui pleure, Lâchez-moi, Les Blondes, La Faute à Ève ou Comme Higelin côté Sylvestre et La Chanson de Barbara (Bertold Brecht / Kurt Weil), Je voudrais partir (Brigitte Fontaine), Suzanne (Leonard Cohen/Gilbert Langevin) ou Non tu n’as pas de nom (d’Anne, bien sûr) côté Julien. En guise de préface, le double CD reprend un texte du chanteur wallon Julos Beaucarne alors enthousiasmé par les deux chanteuses : « Elles ont le mot chevillé au cœur. Elles ont l’élégance de la langue française dans ses raffinements, ses nuances, ses subtilités. […] Elles ont l’émotion à fleur de leur chair de femme. Elles nous font rire et pleurer, elles nous font gagner du temps, elles nous font cadeau de l’expérience de leurs deux vies en l’espace de trois heures. » Vrai, un cadeau, et intemporel, à saisir avec reconnaissance.
En 2014, sous l’amicale pression de l’écrivain Philippe Delerm, la même Anne Sylvestre se livrait à un exercice inédit pour elle : l’écriture d’un livre. Dans Le goût des mots, la collection dirigée par Delerm, elle publiait Coquelicot et autres mots que j’aime, entre inventaire personnel et parcours littéraire sensible à travers quatre-vingt-une définitions, de « Coquelicot » à « Mot », via « Escalier », « Édredon », « Alsace » ou « Grenouille ». Le 8 novembre est parue une édition « collector », cartonnée (avec les lettres de COQUELICOT découpées au laser) et enrichie de dix nouveaux textes. Dix nouveaux mots ou expressions, dont « S’enticher », « Trois otaries », « Crédule » (qui commence par « Crédule crédule / entre crédence et pendule / entre silences et scrupules / j’ondule »), « Sous-fifre »… jusqu’à « Amour », pudiquement expéditif au possible. C’est du pur Anne Sylvestre comme on aime, à feuilleter le sourire aux yeux et l’âme vagabonde. CQTC.
Notes
Jacques Brel – Le voyage au bout de la vie, Fred Hidalgo, Éditions l’Archipel, 464 pages, 24 €.
Gémeaux croisées, Anne Sylvestre – Pauline Julien, EPM, album 2 CD, 17 €.
Coquelicot et autres mots que j’aime, Anne Sylvestre, Éditions Points, Collector à tirage limité, 224 pages, 11,90 €.