S’il se situait politiquement beaucoup plus à gauche que notre nouveau Président de la République, Jean Ferrat avait déjà - à sa manière - voté cinq fois Hollande par invitation poétique et musicale au voyage. Rejetant dès 2007 les idées « détestables » de Sarkozy, « un arriviste forcené qui, soi-disant, pense à la France »*, il le renvoyait à des interrogations profondes de partage et d’amour, aux antipodes des stigmatisations de classes et de races qui ont discrédité le sortant sorti. Anti « F-haine », l'ami Jean demandait en 1968 « Connais-tu le malheur d’aimer ? », l’une de ses cinq chansons extraites du Voyage de Hollande et autres poèmes, publié trois années plus tôt par Louis Aragon.
En 1965, quatre ans avant d’écrire l’emblématique Ma France, si porteuse d’espoir (« Celle de trente-six a soixante-huit chandelles »), son premier emprunt à ce recueil d’Aragon dressait, dans Au bout de mon âge, un bilan plus intime au fil de « certitudes ballottées ».
Les trois autres chansons issues de ce Voyage de Hollande... figurent dans l’album Ferrat 95 à nouveau consacré à Aragon. Bien qu’y soit d’abord évoqué le temps qui passe et nous marque, J’arrive où je suis étranger porte un titre magnifique qui recèle une implicite symbolique, pas si éloignée au fond de notre actualité récente puisqu’il s’agit de refuser la peur de l’étranger, de l’inconnu. La peur, la « trouille », cet éternel argument électoraliste tordu de toutes les droites…
Avec sa perfection classique, Lorsque s’en vient le soir conjugue le couple et l’universel, ce qui suggère déjà un sens certain de l’existence intime et sociale, dont le tandem Aragon/Ferrat invite à savourer le moindre des moments dans Pourtant la vie (« Un sourire est assez pour dire / La musique de l’être humain »). CQTC.
* À Éric Hacquemand, Le Parisien, 19 janvier 2007.