Il y a cinq ans, en ouverture du dossier que Chorus (41) consacrait à Allain Leprest, j’écrivais : « Si la leprestmania ne déferle pas encore, c’est par surdité et aveuglement manifestes des médias ». Une superbe session de rattrapage leur est offerte avec la sortie de Chez Leprest, disque d’exception, hommage d’artistes d’une diversité étonnante à un prince populaire du verbe, un « ouvrier du rêve », comme disait Nougaro qui l’adorait.
La réussite tient ici à une alchimie d’apparence simple, mais rarement réalisée : mettre en valeur les mots sans sacrifier la musique. Romain Didier, il est vrai, connaît son Leprest par cœur. Sans frime, son piano et ses arrangements font merveille, s’inscrivent dans le temps du classique, de l’inaltérable. Du coup, la voix si personnelle d’Olivia Ruiz mord formidablement le silence avec cette goûteuse incongruité, Tout c’qu’est dégueulasse (« a un joli nom »), Daniel Lavoie tutoie l’émotion d’un lapidaire Nu, Jacques Higelin se remémore La Courneuve avec une intensité sobre exemplaire, Loïc Lantoine incarne impec le Mec de son pote Allain... et tout s’enclenche à l’avenant durant seize chansons, de Sanseverino au duo de l’auteur avec sa fille Fantine (Une valse pour rien), en passant par Mon côté punk, Michel Fugain, Nilda Fernandez, Hervé Vilard (belle surprise), Agnès Bihl, Jean Guidoni, Enzo Enzo, Jamait et Jehan. Fille, épouse, ami(e)s, tout le monde craque sur cet album produit et réalisé par Didier Pascalis de Tacet (distribution : L’Autre Distribution), déjà à l’œuvre avec Véronique Rivière, et bien sûr les précédents disques d’Allain Leprest et Romain Didier.
Hervé Vilard, Romain Didier et Allain Leprest, Fantine Leprest
(photos : Jean-Manuel Vignau)
Mercredi 5, lors d’une soirée de lancement de l'album aux Voûtes Saint-Honoré (une jolie cave parisienne qui accueille régulièrement de la chanson à découvrir), l’émotion était palpable. Autour d’Allain, beaucoup des artistes précités étaient là. D’autres aussi. De façon impromptue, accompagnés par l’incollable Romain Didier, certains ont chanté et des larmes ont fleuri, sur scène comme dans l’assistance. C’était Noël avant l’heure. Ce genre de moment de grâce qu’on n’oublie pas dans une vie. A ceci près, qu’encore une fois, hormis une douzaine de journalistes, il n’y avait pas grand monde des médias et personne de la télé. Tant pis, il leur reste l’essentiel, l’album à écouter et à diffuser. On peut toujours espérer...