Au cœur et autour de la chanson francophone, encore si méprisée des gens de pouvoir et de médias, alors qu'elle est vivante comme jamais au quotidien et dans l'Histoire en marche...
Jusqu’à présent, dans la chanson, le terme « coquelicot » évoquait surtout un succès de Mouloudji. Depuis quelques jours, il fleurit en couverture d’un livre savoureux et tendre de notre sourcière pas comme les autres, et, coiffure oblige, on comprend qu’elle l’avait en tête depuis longtemps. Logique. « Coquelicot », ça rime avec « mot », le premier et le dernier de cette bal(l)ade aux quatre fois vingt (et un) sentiers d’aventure.
C’est son ami l’écrivain Philippe Delerm (directeur de la collection Le Goût des mots aux éditions Points) grand connaisseur de ses chansons, qui a convaincu Anne d’écrire cet ouvrage ; son premier livre, qu’elle dédie naturellement à sa « petite sœur » Marie (Chaix*) et qui commence ainsi :
« Coquelicot. C’est un cri, c’est un appel, c’est un mot de joues rouges et de course folle dans les blés, de mollets piqués par les chardons, de roulades et de cul par-dessus tête dans le fossé.
C’est un mot claquant, insolent, cueille-moi si tu l’oses, je me fanerai aussitôt mais regarde : je suis légion. Je pousse et je re-pousse, et dans cette flaque rouge tu ne sais plus où poser les yeux. Coquelicots, cavalcade, concours à qui sera le plus rouge, tes joues ou moi. »
En dédicace à son « biographe** », Anne m’a écrit : « Mon cher Daniel, quelques petites choses que tu ne savais pas de moi. » C’est vrai qu’on déambule ici dans l’intime, à commencer par les pleins et les déliés de l’enfance, sans céder jamais à un quelconque voyeurisme. Pas le genre de la maison. Et comme pour une bonne grappe de Bourgogne, cela a pris un certain temps avant que les fruits soient mûrs, que les mots viennent frapper à sa plume, comme elle l’a confié sur France Inter à Augustin Trapenard, un nom qui semble déjà sortir d’un roman (cliquer sur l'image).
On apprécie cet inventaire (invente, airs) à la Sylvestre tous sens en éveil. Auteure musicienne, elle entend souvent d’abord les mots, le rapport consonnes/voyelles, leur agencement singulier. Elle nous invite aussi à les sentir, et pas seulement le mot « parfum », elle qui a « sûrement reçu de la nature un odorat très développé ». Faisant peu allusion à la chanson et à ses engagements façon Juste une femme, Anne se dévoile en « Reposoir », « Édredon », « Escalier », « Grenouille » ou « Alsace ». À l’occasion, elle revisite (« [H]ormis », « Tomber d’énue ») et jongle avec gourmandise, selon une tradition familiale bien établie, de « Réaupol-Sébastomur » à « Sans trempette ni bontour ! ». Tout cela restant plein de pudeur, de délicatesse et d’humour. De Sylvestre, quoi !...
* Marie Chaix a écrit de nombreux romans et livres nourris par son histoire familiale.
** Pour mémoire, j’ai publié « Et elle chante encore ? » en 2012 chez Fayard.